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PARTIE III

    III. 1. Cadre Théorique

    III. 1.1. Attendus en fin de lycée

     A la différence des autres cycles, les programmes de lycée appartenant au « Cycle de Détermination » ne contiennent aucune obligation d’enseignement musical. Alors même que ce 5ème Cycle ne dispense plus d’enseignement artistique obligatoire, le bagage musical des élèves est pour la plupart solidement ancré, avec une esthétique générale servant de pivot, permettant la curiosité et des motivations plus individuelles, que l’Informatique Musicale est à même de porter.

     Certes, le parcours d’éducation artistique et culturelle (P.E.A.C.) vise à organiser la multiplicité des initiatives et opportunités qui entourent l’École et permettent d’enrichir son action. Mais, à mesure que le cadre institutionnel diminue, et pèse de moins en moins sur une scolarité où l’enseignement artistique n’est plus obligatoire, un tamis s’opère entre la majorité des élèves pour lesquels la musique est un bien de consommation récréative comme un autre et une minorité qui pratique, poussée par des motivations personnelles assez fortes pour supporter les affres de l’apprentissage et de l’informatique, vers l’autonomie totale.

 

    III. 1. 2. Contexte du lycée professionnel

     Maître d’internat et surveillant d’externat au Lycée Professionnel Emile James, à Etel dans le Morbihan, nous avons mis en place un Club d’Informatique Musicale, trois soirs par semaine durant trois ans, au début des années 2000. Lycée professionnel spécialisé dans la mécanique des bateaux à moteur hors-board et in-board, l’établissement comptait trois cents élèves, dont cent internes. Nombre d’internes venaient de régions éloignées : Corse, Alsace… ou plus simplement d’îles bretonnes isolées : Hoedic, Houat, Groix, Belle-Île en Mer.

     Les élèves intègrent l’internat le dimanche soir, pour le quitter le vendredi matin. Tel que mentionné dans les règlement intérieur de l’internant, le dîner termine à 20h et le coucher des élèves a lieu à 22h. Deux heures de temps libre sont donc consacrées à cet atelier pour une dizaine d’élèves volontaires.

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    III. 1. 3. Conception du « Club d’Informatique Musicale »

     Après examen du parc informatique inemployé ou détérioré, nous avons réuni les ordinateurs en état de fonctionnement et réparé ceux qui pouvaient l’être. Puis, nous avons installé les licences des logiciels Fruity Loops (1) et Steinberg Cubase (2). Avec l’accord du bureau de la Vie Scolaire, tous les soirs après l’heure d’étude, de 20h00 à 22h, est instauré un créneau libre pour cet atelier.

     A cet âge, les élèves veulent composer en s’affranchissant des codes, produire et le faire entendre. Au début des années 2000, les sites de streaming gratuits et légaux n’étaient pas répandus. En 2019, les jeunes producteurs diffusent leurs maquettes depuis leur chambre vers le monde entier, via Myspace (3), Bandcamp (4) ou Soundcloud (5). Leurs productions viennent souvent se perdre dans le flux quotidien de millions de morceaux, mais il arrive parfois que certaines aboutissent à un destin professionnel.

 

    III. 2. Pratique 

    III. 2. 1. Les pré-requis

     Dès le premier atelier, apparaît la difficulté pédagogique du niveau disparate des élèves : ceux qui sont à l’aise avec l’informatique et ceux qui ne l’ont que peu pratiquée. Au début des années 2000, les smartphones, emails et réseaux sociaux étaient rares. Les systèmes d’exploitation Windows sont alors peu efficaces dans la gestion de périphériques audio et les surfaces de contrôle quasiment inexistantes.

Le prix des ordinateurs personnels de bureau était relativement élevé et seules les familles de la classe moyenne supérieure pouvaient y avoir accès. La majorité des élèves étant issus d’un milieu prolétaire, aucun n’avait accès à un ordinateur au domicile familial. Cet atelier était leur seul accès à la pratique musicale et au domaine informatique.

 

    III. 2. 2. Le paradoxe des Digital Natives

     Cette génération n’était pas encore Digital Native (6). Bien que paradoxalement, la maîtrise de l’outil informatique à proprement parlé soit en réalité limitée chez les générations natives, nées après l’an 2000. Les Digital Natives ont généralement une bonne utilisation quotidienne dans le domaine de la communication via les réseaux sociaux, commentaires sur les blogs et messageries instantanées sur leur téléphone mobile.

     Or, peu nombreux sont ceux envisageant l’ordinateur autrement qu’une boîte noire à système fermé, à entrée et à sortie unique. Outil ne nécessitant ni configuration, ni entretien, ni compréhension des principes de base de la programmation ou de l’architecture du système d’exploitation.

     De même, la nosologie pose souvent problème. Sans conception arborisée, pas de classification efficace. Les élèves perdent souvent leurs productions, créent des doublons, éparpillent les banques de sons. Les sauvegardes régulières sur support externe peuvent ne pas être effectuées et des élèves perdent le travail d’une année entière, suite à défection d’un disque dur, à la perte ou au vol de matériel, ou à un simple incident domestique.

     En raison de ces aléas logistiques et malgré leur motivation, certains élèves se découragent et abandonnent le projet musical. Un parallèle est possible avec l’enseignement classique, où il en est parfois de même lors des phases d’apprentissage du solfège en formation musicale, ou avec des instruments qui nécessitent un entretien particulier.

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    III. 2. 3. L’aspect matériel

     De plus, à cette époque, l’ergonomie des logiciels n’était pas aussi agréable qu’aujourd’hui. Nombreux étaient les problèmes de mise à jour et compatibilité. La mémoire de stockage R.O.M. et d'exécution R.A.M. étaient faibles. Les boucles courtes et patterns se limitaient souvent à 8 temps et 16 mesures. Ces contraintes techniques pouvaient entamer la motivation des élèves, et ruiner le premier mouvement de création spontanée.

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    III. 3. Limites et ouverture

     Au terme d’un parcours en lycée, la majorité des élèves abandonneront la pratique musicale autodidacte. Une minorité se consacrera au développement d’un projet artistique. Pour ces jeunes adultes, un prolongement possible est celui des cours particuliers, s’adressant à des musiciens souhaitant perfectionner la pratique de leur logiciel habituel ou se former sur de nouvelles machines. 

     À la fin de leur cursus, certains anciens élèves de Conservatoire poursuivent également leur pratique à domicile et en solitaire, grâce à l’Informatique Musicale. En effet, après avoir suivi une formation musicale institutionnelle, ces pratiquants souhaitent compléter leurs compétences en apprenant les rudiments de l’Informatique Musicale. Le plus souvent, ce seront des principes d’enregistrement audio de leur instrument. Ainsi, la manipulation de micro et d’interfaces audio-numériques, couplées à un logiciel simple d’édition, leur permettra de réaliser des enregistrements de leur violon, flûte, piano. Grâce à ces expériences, certains anciens élèves aborderont leur instrument sous un nouvel angle. Forts de leur apprentissage classique, ils pourront l’augmenter en traitant leur instrument via des processeurs d’effets (delay, réverbération…) ou en éditant leurs enregistrements (doubler des pistes, harmoniseur, arpegiateur, sampler, looper…). 

 

     Un autre prolongement possible est l’inscription en classe d’Informatique Musicale au C.R.R. Ouverte en 1988 au Conservatoire à Rayonnement Régional de La Réunion, elle fut d’abord dédiée à l’arrangement Jazz, par la création de partitions (François Jeanneau). Les élèves accèdent aux cours d’Informatique Musicale par un cursus d’études en 3 cycles ou selon une démarche de projet. 
 

     Le cursus suit une progression pédagogique : 

- Le premier cycle est dédié au système MIDI : historique, câblage, interface, séquenceur, synthétiseur et expandeur. Y sont également abordés l’informatique (environnement MacOS/Windows/iOS, les composants de base d’un ordinateur) et la synthèse (soustractive, modulaire).

- Le second cycle approfondira les connaissances en MIDI, en synthèse (synthétiseurs et instruments logiciels) et en informatique (Protocole Rewire, Plug-ins de traitement et logiciel Audio-MIDI). Par ailleurs, y sera étudié l’audio, sous le prisme de l'échantillonnage, des micros, des techniques d’enregistrement et des consoles de mixage.

- Enfin, au dernier cycle, l'apprentissage de la synthèse et de l’audio seront complétés, avant de se consacrer à un travail de recherche libre et donnant lieu à une présentation devant jury.
 

     La démarche de projet s’organise sur une durée d’une, deux ou trois années, à déterminer selon les spécificités du projet. Les élèves y accèdent suite à un entretien d’entrée, soumis à l’avis de la direction. Il s’agit de projets en lien avec la création artistique ou une demande de reconversion professionnelle. Par exemple, pour monter son studio, comme Hilaire Chaffre ou TiKaz Music (7). Un enseignant peut y entrer, projetant d'intégrer l’Informatique Musicale à sa pratique de classe. Un professeur de trompette peut chercher comment l’Informatique Musicale lui permettra d’apporter une valeur ajoutée à ses cours, via le Logiciel Usine (8).

     L’Informatique Musicale permet donc aux musiciens d’accéder à davantage d’autonomie dans leur pratique. Cet indépendance quant à la

production est un atout au sein d’une industrie et d’une filière en mutation.
     En effet, depuis le début des années 2000 et la périclitation des labels majors, les musiciens sont amenés à participer à toutes les phases d’élaboration d'un disque, de la composition avec peu de moyens, au mixage et au mastering.
     
Parfois même, ils apprennent à utiliser les logiciels de P.A.O., pour réaliser la pochette de leur disque, à gérer des logiciels de montage vidéo pour éditer des captations de performances scéniques, à formater les fichiers pour les envoyer au pressage et à développer leur site internet ou une page sur un réseau social, pour promouvoir leur travail. Il s’agit désormais d’une conception à 360 degrés de leur activité.

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1 https://www.image-line.com/flstudio/

2 https://www.steinberg.net
https://myspace.com
https://bandcamp.com
5
https://soundcloud.com

6 https://fr.wikipedia.org/wiki/Enfant_du_numérique

http://www.ticazmusic.com

http://www.sensomusic.org

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